ABSENCE D’AUDACE
Alors que le gouvernement gabonais multiplie les efforts pour relancer l’économie et attirer les investisseurs étrangers, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer un paradoxe inquiétant : les Gabonais eux-mêmes semblent absents du jeu économique national, préférant fuir le risque entrepreneurial.
« À chacun sa légion étrangère »
lâche un citoyen dans une sortie très partagée sur les réseaux sociaux. Selon lui, les étrangers, souvent décriés, ont au moins le mérite de prendre des risques.
« Les autres investissent leur argent. Ils acceptent que ce soit un mauvais investissement. Ce que les Gabonais ne font pas. Même dans nos propres familles, on cotise pour des mariages et enterrements, mais jamais pour créer une entreprise »
Cette réalité devient criante lorsque l’on observe les projets en cours. Depuis l’élection du Président le 12 avril 2025, plusieurs chantiers ont été relancés : la rénovation de l’ancien hôtel Ré-Ndama, rebaptisé Lancaster Ré-Ndama, par Achour Holding ou encore l’annonce d’une usine de traitement de déchets par Corsair Group International sont les derniers en date. Des projets porteurs, mais presque exclusivement entre les mains d’investisseurs étrangers.
Une situation qui ravive le souvenir d’Ali Bongo Ondimba, souvent critiqué pour avoir privilégié les « étrangers » dans l’attribution de marchés.
« Finalement, les Bongo avaient peut-être raison, les Gabonais ne sont pas prêts pour le business chez eux »
entend-on désormais dans certains milieux économiques.
Et pendant ce temps, le chômage progresse. Près de 35 % de la population active serait sans emploi. Les rares opportunités, notamment à la Zone économique spéciale de Nkok, se limitent à des stages à répétition, des emplois précaires, mal rémunérés.
« C’est avec des contrats de stage qu’on va construire des gratte-ciel ? »
ironise un autre internaute.
Face à cela, le gouvernement, qui veut construire routes, usines et ponts, semble contraint de s’appuyer sur l’expertise étrangère. La promesse de « gabonisation des cadres» semble menacée.
« Il faut des Gabonais à la tête des entreprises si l’on veut vraiment embaucher les Gabonais »
estime un économiste local. Car si l’État n’est plus en mesure d’embaucher tous les diplômés, le secteur privé, lui, pourrait être une solution à condition d’y faire plus de place aux nationaux.
Un changement d’état d’esprit est désormais urgent. Les milliards détournés par l’ancienne élite, investis à Londres ou Paris, auraient pu construire un écosystème économique local robuste, constatent plusieurs Gabonais. À défaut des capitaux 100% gabonais, ce sont d'autres qui investissent dans le privé et récoltent.
Une diaspora absente ?
Par ailleurs, des voix s’élèvent pour dénoncer le silence des élites économiques gabonaises, notamment certains pontes de l’ancien régime accusés d’avoir détourné des fonds publics pour investir à l’étranger, en France, en Suisse ou au Royaume-Uni, au lieu de créer des entreprises locales capables d’embaucher massivement. Une situation jugée d’autant plus préoccupante que l’État gabonais, en difficulté budgétaire, ne peut plus absorber les flots de diplômés qui arrivent chaque année sur le marché du travail.
Un équilibre délicat à trouver
Le Président de la République multiplie les déplacements à l’étranger pour attirer les investisseurs et développer le pays, mais la population attend du gouvernement qu’il fixe des règles claires et fermes. Oui à l’investissement étranger, mais pas au détriment des Gabonais. Le développement du pays passe par la création d’emplois durables et de qualité pour les nationaux, sans quoi les frustrations sociales risquent de se transformer en tensions politiques. Le défi est immense : relancer l’économie, attirer les capitaux étrangers, mais surtout, ne pas oublier que derrière chaque projet, ce sont des milliers de Gabonais qui attendent que leur quotidien change positivement.